Le contenu de Smash Ultimate
Super Smash Bros. Ultimate est un très bon jeu. Troisième jeu le plus vendu de la Switch en moins d’un mois, tests dithyrambiques, tout le monde s’accorde à dire que la Switch a reçu, le 7 décembre dernier, un nouveau hit !
Et pourtant, plusieurs personnes, moi en tête, estiment que ce Smash Bros., n’est pas si « Ultimate » que ça, qu’il lui manque quelque chose pour être à la hauteur de son sous-titre.
Je vous propose donc une analyse sur Smash Ultimate dans laquelle je vous montrerai que la création du jeu est fortement liée à l’échec commercial de la Wii U. Cette dernière ayant influencé la Switch a bien des égards, je vous recommande ma vidéo sortie fin 2018 sur le sujet.
Pour commencer, nous savons que le développement de Ultimate a commencé juste après la sortie des derniers combattants en DLC de Smash 4 : Bayonetta et Corrin, soit en février 2016. Pour cet article, partons du principe que le développement aura duré jusqu’à la sortie du jeu. Il aurait donc duré environ 2 ans et 10 mois, soit 34 mois. Cela me semble étrange d’arrêter de travailler sur un Smash Bros. pour entamer le développement d’un autre. Mais comme je ne m’y connais pas dans ce domaine, voyons ce qu’il en était pour les précédents épisodes de la série.
Le premier Super Smash Bros., sur Nintendo 64 sort le 21 janvier 1999 au Japon. Le début du développement de Melee n’est pas connu, mais nous savons qu’il a duré 13 mois, pour une sortie le 21 novembre 2001. Masahiro Sakurai aurait donc commencé à plancher sur Melee aux alentours d’octobre 2000, lui laissant 21 mois entre les deux épisodes.
Avec un développement débuté en octobre 2005, Sakurai acheva Brawl en 27 mois puisque le jeu sorti le 31 janvier 2008. Cette fois-ci, le créateur de Kirby eu 35 mois de « répit » entre Melee et Brawl.
Vint ensuite Smash for 3DS et Wii U sortis respectivement le 13 septembre et le 6 décembre 2014 après 31 et 34 mois d’un développement commencé en janvier/février 2012 soit 48 mois après la sortie du précédent opus.
Bien que le temps entre le développement de chaque nouveau Smash Bros. s’agrandit au fil du temps, ce n’est pas pour autant que Masahiro Sakurai ne s’attela pas à d’autres projets. Il travailla entre autre sur Kirby 64: The Crystal Shards, Kirby Air Ride et Kid Icarus Uprising. Nous avons donc à faire à un développeur des plus passionnés dont les jeux sont réputés pour être de grande qualité.
Mais revenons à Ultimate. Le 1er novembre 2018, Sakurai présenta un nouveau Smash Bros. Direct dans lequel ce dernier annonce que « nous avons décidé de ne pas inclure les trophées à collectionner dans ce jeu. Pour être honnête, ils étaient bien trop difficiles à développer ». Cette phrase, aussi surprenante qu’elle puisse paraître rappelle, à elle seule, le contexte dans lequel le jeu a été développé et dévoile le principal handicap du développement de Smash Ultimate : le manque de temps.
Cela peut sembler surprenant puisque Ultimate est l’épisode ayant eu le développement le plus long de la série, ex-æquo avec Smash for Wii U. Et pourtant, nombreux sont les exemples montrant qu’un plus long développement aurait permis de rendre le jeu encore plus complet que ce qu’il est déjà.
Pour revenir sur l’absence des trophées, la justification de Sakurai sonne comme un aveu de défaite, plus qu’une décision prise dans l’intérêt du jeu. Rétrospectivement, Masahiro Sakurai est, en effet, reconnu pour sa rigueur et sa passion du jeu vidéo au détriment de sa santé.
Il qualifiera le développement de Melee de destructeur pour son mode de vie. Période pendant laquelle il ne prit aucun jour de vacances.
Avec son équipe, il n’hésita à demander le report de Brawl, à deux mois de la sortie américaine, premier territoire devant accueillir le titre. Alors que, comme dit plus haut, le développement aura durer deux fois plus longtemps que celui de Melee.
Cela ne l’empêchera pas de se lancer dans son plus long développement à ce jour avec Smash 4 en développant deux versions du jeu. Bien qu’étant co-développé par Bandai Namco, ce fut au long de la création de ce double épisode, qui dura presque 3 ans (voire 4 si l’on prend en compte la création des combattants en DLC) que Sakurai développa une tendinite calcifiante, lui provoquant des douleurs dans l’épaule droite en 2013. Ce contre-temps l’obligea à réduire son rythme de travail, toujours plus intense que jamais.
Au vu de ces éléments, un constat saute aux yeux : Mashahiro Sakurai sait s’impliquer corps et âme dans son travail pour créer les meilleurs jeux possibles. Donc si un élément aussi lié à Smash Bros. que les trophées ne sont pas de retour, cela ne peut qu’être à cause d’un manque de temps. D’autant plus que leur nombre n’a fait que croître depuis leur intégration : ils étaient 290 dans Melee, puis 544 dans Brawl et enfin 707 dans Smash for 3DS et 743 dans Smash for Wii U.
De plus, d’autres déclarations viennent étayer l’hypothèse d’un jeu développé en temps limité. Lors d’une interview, Sakurai déclara qu « il fallut choisir entre développer à partir de zéro ou reprendre les bases de Smash for Wii U. Si nous avions choisi la première option, nous n’aurions eu qu’un tiers des combattants finalement présents ».
Partons du principe que Sakurai prenne en compte le travail sur les combattants additionnels. Cela voudrait dire que le casting du jeu n’aurait compris que 27 personnages jouables, soit presqu’autant que dans Melee. Je reste surpris par cette déclaration puisque développé dans un délai similaire, Smash 4 accueilli 51 combattants, rien qu’à son lancement, soit presque le double que ce qu’aurait pu proposer Ultimate.
De plus, Reggie Fils-Aime, à l’époque, président de Nintendo of America déclara dans une interview à Kotaku qu’il aurait préféré qu’Ultimate sorte plus tôt, précisant que « un lancement début décembre est un défi commercial », s’appuyant sur le cas de Xenoblade Chronicles 2, sorti à la même époque, un an plus tôt.
Que Smash Ultimate fut développé pour sortir le plus tôt possible, c’est désormais un fait. Voyons maintenant en quoi cela se ressent via le contenu du jeu. Puisque ce dernier fut développé à partir du fantastique développement de Smash for Wii U, Sakurai et son équipe ont pu économiser du temps sur l’intégration des 58 combattants de cet épisode. Ce ne fut cependant pas chose aisée. Sakurai précise « … Cela demande beaucoup de temps et d’argent […] je dois demander l’approbation des créateurs de chaque personnage. […] Les accords contractuels et autres questions juridiques peuvent rendre le développement très difficile ».
Ensuite, vient les 7 vétérans des précédents Smash Bros. dont le traitement fut probablement plus court que ceux des nouveaux arrivants. Ultimate invite également 5 nouveaux personnages en tant que combattant écho. Si certains ont plus de différences avec leur combattant original que d’autres, leur développement prit logiquement moins de temps que celui des 6 personnages introduits dans ce cinquième Smash.
Le même raisonnement peut s’appliquer aux terrains : la plupart présents dans Smash 4 font leur retour, d’autres provenant de Melee et Brawl eurent droit à un lifting plus ou moins marqué, ceux de Smash 64 restent fidèles à leur style d’origine et, sans compter les nouvelles versions de « Champ de Bataille » et « Destination Finale », 4 nouveaux terrains font leur apparition.
Passons maintenant aux modes de jeux, en commençant par revenir sur les fameux Esprits, héritiers officiels des trophées. Les deux ont en commun de représenter aussi bien les combattants qu’une large variété de personnages et objets de jeux-vidéo. Mais là où les trophées avaient une portée ludique grâce aux biographiques expliquant leur origine, le tout accompagné par un modèle 3D dudit personnage/objet, les Esprits ne sont qu’un ensemble d’artwork. Et bien qu’ils soient (actuellement) au nombre de 1320, il est difficile d’y voir une réelle succession aux trophées, mais bien plus comme une alternative reprenant le concept des vignettes et autres éléments de customisation de Brawl et Smash 4. Il est néanmoins possible de se consoler en se disant que les Esprits offrent plus de possibilités que les précédents tentatives nommées.
Pour rester sur les Esprits, le mode Aventure de Ultimate permet de leur donner une origine et quelques lignes scénaristiques. Mais comme il est davantage constitué d’un enchainement de combats que de phases de plate-formes, « La Lueur du Monde » ressemble beaucoup au disparu mode « Événements » dont les matchs à thème font ici leur apparition.
C’est précisément avec le mode Aventure qu’il est possible d’observer le génie de Sakurai. Ce dernier sait ô combien qu’un tel mode fut réclamé dans Smash 4. Mais il ne souhaite plus développer une aventure reposant sur des cinématiques. Alors, puisque le temps lui fait défaut, il crée un mode Aventure qui réunit le concept des Événements et des trophées, une sorte de mode « 3 en 1 ».
Commencé avec Smash 4, Ultimate poursuit officiellement son chemin vers le monde compétitif. Outre un gameplay plus nerveux, ce dernier jouit d’encore plus d’options pour paramétrer ses matchs. Si ces options représentent, à n’en pas douter, une volonté de répondre à la demande des fans, elles constituent également un faible temps de développement, rendant Ultimate un peu plus unique en tant que nouvel épisode.
Dans le même esprit, les changements apportés au mode classique ne le révolutionnent pourtant pas; son principe restant le même : enchainer plusieurs combats à thèmes. Mais il permet d’apporter un peu de fraicheur en un temps record.
Jusqu’ici, nous avons vu que Sakurai a modifié ou combiné certains modes ou options afin de préserver au maximum le contenu propre aux Smash Bros.. Mais si nous déplorons l’absence des trophées, le mode ayant subit le plus de changements est sans conteste le Stade !
Abritant traditionnellement le « Smash dans le mille », « Smash en Masse » et le « Home-Run », ce dernier a tout simplement disparu au profit des quelques « Smash en Masse » restants (Smash contre 100 et Smash cruel) dont le nouveau Smash All-Star, remplaçant le mode du même nom, également absents. Nous avons donc 3 modes en moins et un bien plus riche qu’à l’accoutumée.
Compte tenu de l’énorme travail d’équilibrage dont a dû faire preuve l’équipe de développement et l’orientation compétitive de Ultimate, Sakurai dut s’apercevoir rapidement que quelques concessions devaient être faites. J’en parlais plus haut avec l’élaboration du mode Aventure, mais j’imagine que dans ce contexte où le temps manque, la suppression de certains modes étaient inévitable. Ce sont donc les modes Solo qui furent concernés, probablement car considérés comme plus annexes ou moins populaires. Le mode All-Star étant probablement plus apprécié/joué que le « Smash dans le mille » et le « Home-Run », il devint un simple « Smash en Masse ».
Voilà également pourquoi le mode « Smash Boss », apparu dans Brawl et réunissant tous les boss du mode Aventure ne fit pas son retour, alors que sa présence semblait évidente grâce à la présence de « La Lueur du Monde ».
Mais alors, pourquoi avoir opéré tant de changements ? Pourquoi avoir sorti le jeu « si tôt » dans cet état ? Pour préserver la santé Masahiro Sakurai qui vient d’enchainer deux longs développements ? Mais dans ce cas-là, pourquoi ne pas lui avoir laissé un traditionnel délai avant de le faire travailler à nouveau sur un nouveau Smash Bros. ? A cause de l’échec de la Wii U !
Après le bide de sa précédente console, Nintendo a voulu tout mettre en oeuvre pour regagner la confiance des joueurs et des investisseurs. Le but était de montrer que le constructeur japonais pouvait se ressaisir en proposant une console pouvant à nouveau plaire et surtout, avec beaucoup plus de jeux. Ce n’est pas sans raison qu’à son premier Noël, la Switch proposait déjà un jeu Zelda, Mario Kart, Splatoon ou encore Mario. Si Nintendo fut pointé du doigt pour avoir sorti moins de jeux en 2018, Big N gardait en réserve deux cartouches pour sa fin d’année : Pokémon Let’s Go et Smash Ultimate.
Car son objectif est de sortir un nouveau jeu de chacune de ses grosses licences pour rassurer, montrer à tous que Big N est toujours dans la course. Mais étant sous pression, ces jeux doivent sortir le plus rapidement possible. Voilà très certainement comment est né Super Smash Bros. Ultimate. Dans l’attente qu’un nouvel épisode sorte le plus rapidement possible, sans pour autant réaliser un « simple » portage.
Oui, Smash Ultimate est un très bon jeu. Mais ce contexte post-Wii U lui valu d’être un peu moins fidèle à sa légendaire exhaustivité, caractéristique de la série. Et si le parti-pris de rassembler tous les combattants fut choisi et que la communication s’accentua sur le « EVERYONE IS HERE », c’est bien pour attirer l’attention sur le principal point fort du jeu. Remarquez comme Sakurai pris le temps d’expliquer pourquoi les trophées ne furent pas de retour, mais comme il omit de parler de l’absence des modes Solo. Probablement car dévoilé explicitement que le jeu fut développé dans l’urgence n’était commercialement pas une justification officielle satisfaisante.
Et maintenant que Sakurai et Bandai Namco s’affaire à développer et peaufiner combattants additionnels et mise à jour d’équilibrages, il y a fort à parier que l’absence de modes solo est le dernier de leurs soucis. Mais ça, c’était avant l’arrivée de la version 3.0.
Non content d’ajouter Joker en tant que premier combattant additionnel, Smash Ultimate se vit offrir quelques nouveautés et notamment, le retour du Créateur de Stages ! A l’instar des modes solo, tout indiquait que ce dernier ne reviendrait pas de sitôt. Est-ce que Sakurai aurait volontairement amputé Ultimate de certains modes pour les sortir au compte-goutte ?
Puisque ce ne fut pas le cas de la version 2.0, peut-être que seules les mises à jour introduisant un combattant du Fighter Pass sont choisies pour faire revenir un mode vétéran. Et comme un récent datamining a révélé que le jeu contenait des données en rapport avec le Home-Run, il ne serait pas improbable de songer au retour de ce mode iconique en marge de l’arrivée du troisième combattant additionnel.
Autant, je comprends que l’ajout de personnages en DLC permet de maintenir la hype sur Ultimate sur le long terme (à l’image des ajouts d’armes de Splatoon, dans un style légèrement différent), autant je n’aurais pas cru que l’ajout de modes solo et autres options pourraient également jouer ce rôle. Peut-être qu’après avoir insisté sur le « EVERYONE IS HERE », Nintendo souhaite accentuer sa communication sur un « EVERYTHING IS HERE » ? Si c’est le cas, peut-être il-y-a t’il encore une infime chance de retrouver également « Smash dans le mille », « Smash Boss », et, soyons fou, le mode « All-Star » avec l’ultime combattant supplémentaire ?
Quoiqu’il en soit, il reste à Ultimate l’occasion de briller de part la richesse de son roster et, pourquoi pas, de s’imposer sur la scène e-sport, comme le souhaite Nintendo. Mais à ce niveau là, je ne me fais pas de soucis : la communauté Smash Bros. saura faire en sorte que le jeu soit sous le feu des projecteurs. Et à ce moment-là, il ne sera plus question de savoir si il manque tel contenu, mais bien de savoir qui remportera, le prochain tournoi !
Sources : Kotaku, Source Gaming, SSBWiki
Ça a dû être compliqué de réunir toutes ces infos, tu as bien bossé.
J’ai repéré une faute cependant. Sakurai n’a pas travaillé sur Kirby 64. Il est crédité dans le jeu seulement pour le doublage de DaDiDou mais sinon il n’a rien fait sur le jeu, surtout pas au niveau du gameplay.