Hyrule Warriors : un coup de com canonique

Après des mois relativement calmes en terme d’annonce, Nintendo sorti de son silence, en septembre dernier, par l’intermédiaire d’Eiji Aonuma, non pas pour nous parler de « la suite de Breath of the Wild », mais pour nous présenter Hyrule Warriors : l’Ère du Fléau. Un Musō se passant « 100 ans avant les événements de BOTW » d’après Aonuma. A partir de cette annonce, des réactions variées firent leur apparition sur le net. La plupart des joueurs semblaient être ravis de pouvoir retourner en cet Hyrule qui avait marqué la licence Zelda il y a presque 4 ans. D’autres se questionnaient sur l’intérêt de raconter une histoire dont l’issue dramatique était connue.

L’euphorie générale connu une controverse un mois plus tard lorsque la démo de ce second Hyrule Warriors fut rendue disponible. Comme pour chaque version de démonstration se vantant de pouvoir transférer notre progression une fois le jeu final en notre possession, cette dernière nous propose de découvrir les premières heures du jeu final. C’est ainsi que l’illusion s’estompa : l’Ère du Fléau ne serait donc pas canon à Breath of the Wild. C’est à dire que les événements racontés dans ce nouveau Musō ne seront pas raccord avec ceux du dernier épisode de la série.

S’en suivit une nouvelle vague de réactions moins agréables que la première comme quoi Nintendo aurait « menti » à son public. A l’heure où j’écris ces lignes, la polémique s’est essoufflée et ce second Hyrule Warriors est un succès (Koei Tecmo a annoncé avoir expédié plus de trois millions d’exemplaires à l’échelle mondiale, faisant du jeu le Musō rencontrant le plus de succès commercialement parlant). Cependant, cela fait un moment que je brûle d’envie de revenir sur ces critiques qui poursuivirent le jeu jusque dans les tests de journalistes et autres avis sur Youtube.


Un Hyrule Warriors basé sur l’univers de BOTW

Alors que le premier Hyrule Warriors, sorti à l’origine sur Wii U se basait sur la licence Zelda en général et non sur un épisode spécifique, Koei Tecmo reconduit son partenariat avec Nintendo pour un second épisode. Episode qui est plus à considérer comme un « Breath of the Wild Warriors » qu’un simple Hyrule Warriors 2 selon son producteur Yosuke Hayashi.


VS. Roi Cuirassé - Hyrule Warriors Definitive Edition
En comparant les interfaces, le terme « BOTW Warriors » est clair !

Commercialement, ce second crossover entre Zelda et Dynasty Warriors fait sens. Si il est difficile de connaître avec exactitude les chiffres de vente du premier Hyrule Warriors, sachez cependant qu’à leur sortie, les versions Wii U et 3DS rencontrèrent un certain succès en Europe (respectivement top 1 et top 5 la semaine de leur sortie en Allemagne par exemple) au point que Koei Tecmo se dit satisfait des ventes occidentales de la mouture Wii U après un mois de vente. Concernant la version Switch, le jeu aura dépassé les attentes de ces développeurs en Europe et en Amérique du Nord.

Quant à l’idée de reprendre l’univers et les personnages de Breath of the Wild, ce dernier représentait presque 20 millions d’exemplaires vendus au moment où l’Ère du Fléau fut annoncé, soit une bien jolie fan base. Accessoirement, BOTW est le jeu de sa licence le plus vendu et ce, depuis mars 2018 dépassant Twilight Princess en seulement un an.


En interne, Aonuma déclara dans une interview à Game Informer qu’Hidemaro Fujibayashi l’un des directeurs de BOTW « souhaitait que les événements se passant un siècle avant l’intrigue principale soit montrés en jeu » . C’est donc sur ce souhait non aboutit qu’Aonuma rentra à nouveau en contact avec Yosuke Hayashi (déjà producteur sur le précédent Hyrule Warriors) afin de lancer ce nouveau projet.


Le « mensonge » de Nintendo

Quel que soit le média ou le contexte (annonce vidéo, bande-annonce, newsletter, interview etc.), la communication autour d’Hyrule Warriors l’Ère du Fléau tourna autour d’une seule et même formulation : « découvrez ce qu’il s’est passé 100 ans avant Breath of the Wild » . Sur le papier, cette indication est exacte : le contexte de guerre auquel nous prenons part se déroule bien un siècle avant les événements dudit jeu. Or, il est inutile d’avoir fini le jeu pour savoir que cette fameuse phrase est trompeuse puisque dès l’introduction du titre, nous savons que nous allons découvrir « l’autre histoire des Prodiges » et de ce fait, que le récit à venir ne s’inscrit officiellement donc pas avant BOTW.


Réveil de Ganon le Fléau - Hyrule Warriors : l'Ère du Fléau
Les ennuis commencent…

L’intérêt d’utiliser cette citation floue est selon moi purement marketing. En effet, elle permet d’indiquer rapidement de quoi parle le jeu en permettant aux fans de BOTW de le situer temporellement. De plus, c’est une manière de parler positivement du jeu. Je ne voyais pas Nintendo décrire le jeu de la sorte : « découvrez comment Link, les prodiges et Zelda auraient pu triompher » ou, dans le cas où l’intrigue avait été canon, « découvrez comment Link, les Prodiges et Zelda ont échoué à protéger Hyrule contre Ganon le Fléau ».

Voilà certainement la raison pour laquelle, quitte à produire un Musō dans l’univers de BOTW, le choix d’orienter le scénario vers une fin assurant la victoire de Zelda et ses alliés fut pris. N’oublions également pas que la communication générale autour du jeu ne vise pas le noyau dur des fans mais bien un plus large public. En effet, les fans de longue date n’ont, par exemple, pas attendu de recevoir la newsletter de novembre de Nintendo pour découvrir l’existence du jeu.

Autre exemple, le joueur lambda, pour peu qu’il ait apprécié BOTW, sera ravi de redécouvrir l’univers du jeu, quelque soit le contexte. Il a compris que les prodiges étaient décédés il y a 100 ans et découvre que dans ce nouveau jeu, il pourra combattre avec ces derniers. Le jeu se passe donc bien des années avant BOTW, tout va bien dans le meilleur des mondes.


Ce manque de transparence dans la communication peut vous sembler injuste et c’est parfaitement compréhensible. Malheureusement, le but pour Nintendo et Koei Tecmo est de vendre un maximum de jeux, quitte à communiquer de manière floue sur le contexte précis du jeu. Nous sommes, sans aucun doute, beaucoup à vouloir en savoir plus sur les prodiges, leur entrainement, la découverte des Gardiens ou encore sur la relation entre Link et Zelda etc. Dans cette optique, il était difficile de penser que cet Hyrule Warriors serait autre chose qu’une préquelle à BOTW.

Hayashi était parfaitement conscient de la difficulté de travailler sur un tel jeu vu le contexte scénaristique de BOTW. Cependant, le but de son équipe fut de « créer un jeu divertissant malgré tout » et le moins que nous puissions dire est que le pari est réussi à ce niveau.


Une stratégie de communication bien huilée

Si vous êtes fans de Nintendo, vous avez probablement déjà eu affaire à ce genre de communication hasardeuse. Pour rappel, Masahiro Sakurai indiquait juste après que Super Smash Bros. for Wii U et 3DS soient annoncés que Mega Man serait le seul personnage d’éditeur-tiers du jeu et que, sans être contre les DLC, il préférait proposer des jeux complets, sous-entendant que ses prochains jeux n’en auraient pas. Plus récemment, comment oublier la polémique autour de la révélation de Junichi Masuda à l’E3 2019 comme quoi les données de tous les Pokémon existants ne seraient pas présentes dans Pokémon Épée et Bouclier ?


Treehouse - E3 2019 sur Pokémon Épée et Bouclier
Et là, c’est le drame !

Comme pour l’Ère du Fléau, tout est une question de point de vue. Sakurai (et Nintendo) ne souhaitait probablement pas indiquer, de quelque façon que ce soit, qu’il travaillait avec Bandai Namco à l’intégration de Pac Man dans Sm4sh alors que ce dernier ne fut révélé qu’un an plus tard. Si je doute que les négociations pour intégrer Ryu, Cloud et Bayonetta n’avaient pas encore effleuré l’esprit de Sakurai, indiquer dès l’annonce des jeux ne pas vouloir intégrer de DLC est un discours valorisant. Sachant que ces derniers qui ne sortirent que plus d’un an après et alors que la communication autour des jeux ne faisait que commencer.

Concernant Game Freak, donner une raison telle que « nous préférons soigner les animations et les graphismes » deux aspects qui furent régulièrement montrés du doigt, était, à ce stade de la communication autour d’Epée et Bouclier, plus valorisant plutôt que de justifier leur décision par « le développement sur Switch est compliqué et nous manquerons de temps pour ajouter les données de tous les Pokémon existants ». Certes ces petits manèges ne durèrent qu’un temps mais encore une fois, seul les plus gros fans furent impactés, et non le grand public. De plus, cela ne nuit en rien aux ventes d’EB au vu de leur succès commercial incontestable.


Le voyage dans le temps comme ressort scénaristique

Le voyage dans le temps et la création de timeline sont des thèmes fréquemment utilisés dans la pop culture. Il n’est donc pas surprenant que ce ressort scénaristique ait été choisi pour l’Ère du Fléau. En effet, pour Koei Tecmo et Nintendo souhaitant raconter une intrigue inédite dans un contexte historique aux enjeux et aboutissants connus, le voyage dans le temps semblait être la justification parfaite.

Château d'Hyrule - Hyrule Warriors : l'Ère du Fléau
« C’était mieux avant ! »

Les deux studios ne sont d’ailleurs pas à leur premier coup d’essai sur le sujet puisque la thématique du voyage temporel fut précédemment utilisée dans le premier Hyrule Warriors et dans Ocarina of Time. Faute d’originalité, nous voici avec une base scénaristique ayant déjà fait ses preuves en interne.

Je ne suis pas un expert en Musō mais il me semble que proposer un grand nombre de personnages jouables est une caractéristique de ce genre de jeu. Or, l’intrigue du jeu reposant sur le voyage dans le temps, l’intégration de Sidon, Yunobo, Teba et Riju prend tout son sens.


Même si cet Hyrule Warriors reste un spin-off, ce qui reste la meilleure raison de ne pas le considérer comme étant canon, il est toujours possible de voir les choses différemment. A l’image d’Ocarina of Time et de ses trois timeline, pourquoi ne pas considérer ce jeu comme le représentant d’une nouvelle branche qui lui est propre ? Une timeline qui ne sera probablement, certes, jamais alimentée par de nouveaux jeux mais qui prendrait sa place dans la chronologie officielle sans pour autant bousculer ce qui a été fait précédemment.

Sachant que de nombreux jeux Zelda nous sont contextualisés comme se passant des années avant (Skyward Sword) ou après (Twilight Princess, Wind Waker) Ocarina of Time, cette vision peut tenir la route.


Ce qu’il s’est vraiment passé il y a 100 ans

Je pense que nous n’aurons jamais de récit exhaustif à ce sujet. Du moins probablement pas explicitement comme nous en attendions de cet Hyrule Warriors. Si Aonuma avait encore quelque chose à raconter en réserve sur cette époque, cela aurait déjà été fait. Or, depuis la sortie à BOTW, ses DLC nous ont proposé quelques cinématiques supplémentaires concernant l’histoire des prodiges.

De plus, Aonuma confia à Nintendo Everything que « c’était difficile de créer de nouvelles choses pour l’Ère du Fléau. Cependant, je fus ensuite surpris de tout le contenu que nous avons réussi à créer » car « nous avions du mal à nous détacher de BOTW » . Par ailleurs,  Ryouta Matsushita, l’un des directeurs du jeu ajouta que son équipe « a dû créer un univers cohérent avec BOTW en apportant de nouveaux éléments tout en faisant en sorte que les fans s’y retrouvent » .

Attaque de Gardiens - Hyrule Warriors : l'Ère du Fléau
« Il y a 100 ans », une époque-cinématique

Grâce à ces témoignages, il me semble évident qu’Aonuma et l’équipe derrière BOTW n’ont aucun élément non utilisé par manque de temps concernant le Grand Fléau. Etant donné que le passé de BOTW et l’intrigue de HW possède des similitudes, je ne pense pas qu’Aonuma se serait exprimé avec ces termes si des éléments abandonnés avait été utilisés.

Enfin, puisque le prochain épisode se déroulera après BOTW, même si nous pouvons théoriquement nous attendre à quelques références ici et là aux prodiges, je pense que cette époque de la chronologie ne devrait plus significativement faire parler d’elle.


Comme dit en introduction, revenir sur cette polémique me tenait à coeur car il s’agissait d’un sujet que je voulais approfondir. De plus, ayant aimé Hyrule Warriors l’Ère du Fléau, rédiger cette analyse me permit de prolonger un peu plus mon expérience et de renforcer mon amour pour ce jeu et cette version d’Hyrule que j’ai pris plaisir à parcourir pendant des dizaines d’heures.

Sources : Oscar Lemaire, BlackKite, Polygon, Nintendo Everything, Game Informer, Kotaku, Puissance Nintendo et Nintendo Treehouse: Live | E3 2019

Plan final - Hyrule Warriors : l'Ère du Fléau

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